Fabriquez vous-même vos liqueurs

Guy Desaunay

Sommaire

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    L'alcool et la distillation

 
D'Eremita. Vase distillatoire.
         
 
Les anciens, Grecs, Egyptiens, Romains, ignoraient l'alcool en tant que tel, mais n'ignoraient pas la distillation du vin, et connaissaient la distillation en général et particulièrement celle des plantes aromatiques pour en retirer les principes essentiels. Voici ce qu'êcrit LENORMAND ã ce sujet : "Il paraît par les écrits des auteurs qui ont fait le plus de recherche sur la matière qui nous occuppe, que jusqu'au milieu du XVIIe s. on ne donnait pas au mot distillation le même sens que nous lui donnons aujourd'hui. Jérome RUBEE natif de RAVENNE médecin du pape Clément VIII, qui écrivait ã la fin du XVIe s. nous apprend qu'ils appelaient de ce nom tout ce qui tend à purifier un corps quelconque ou ã en faire une espèce d'analyse : ainsi la filtration, la sublimation, la rectification, la solution, l'extraction, la précipitation, la calcination, l'infusion, la fluxion, la vitrification, la réduction, la revivification et une infinité d'autres opérations qui nécessitent chez nous des appareils appropirés à chacune d'elles, portaient chez eux le nom générique de distillation. Jérome RUBEE affirme que les anciens grecs ne connaissaient pas les produits de la distillation du vin. On n'en trouve dit-il aucune trace dans leurs ouvrages. Chez les Romains, jusqu'à la fin de la République, il ne paraît pas que l'art de la distillation ait fait plus de progrès que chez les Grecs. On trouve, il est vrai dans leurs écrits les mots alambic et distillation, mais rien ne prouve qu'à cette époque, ils aient connu l'art d'extraire l'eau de vie du vin. PLINE parle du vin et de la vigne, mais ignore l'eau de vie. GALIEN ne parle de la distillation que d'une opération propre à extraire la partie aromatique des fleurs et des plantes ... De même, MICANDRE médecin grec, qui vivait 140 ans avant l'ère vulgaire, n'emploi les mots d'alambic et de distillation que comme des moyens propres ã extraire l'eau de roses".
Deux procédés au moins sont connus. le 1° consiste à recueillir le produit d'une condensation. Ce procédé a ensuite longtemps été utilisé par les marins pour obtenir de l'eau douce à parti d'eau de mer. Le 2° consiste à filtrer le produit d'une évaporation. De nos jours, on utilise par exemple en cuisine des couvercles consistant en une fine grille qui retient les corps gras et laisse passer la vapeur d'eau. Les anciens utilisaient de la laine, essorée ensuite. Les rendements étaient évidemment très faibles et les produits de qualité médiocre.

Citons un autre procédé : la distillation per dcscensum. "Elle s'employait autrefois pour extraire la partie aromatique des fleurs et des plantes. Elle consiste à placer dans une espèce d'entonnoir , habillé interérieurement d'un linge, les substances que l'on veut soumettre à  l’opération ; on pose par-dessus un vase plein de feu. La chaleur se communique aux pétales des fleurs; l'humidité dont elles sont naturellement pénétrées se sépare en emportant avec elle la partie aromatique qui coule à travers le linge dans le vase qui est disposé au-dessous du bec de l'entonnoir pour la renfermer. On voit qu'effectivement dans ce cas la distillation s'opère par le bas." (Lenormand)
Un progrès décisif est fait avec l'invention de l'alambic. Le premier connu est celui décrit par CLEOPATRE, Egyptienne savante du IIe ou IIIe s. de notre ère. Il est connu sous le nom de CHRYSOPEE de CLEOPATRE et dessiné dans.un manuscrit grec du XIe s. conservé ã la bibliothèque de St Marc ã Venise. Voir des appareils de distillation

On en a d'autres exemples, un peu plus tard, par exemple dans les ouvrages de ZOZYME LE PANAPOLITAIN. Le chapiteau de ces alambics est désigné dans les manuscrits grecs par le mot "ambix " (vase) d'où est venu par addition de l'article al, le mot d'alambic (vase par excellence) employé par les Arabes. Au Xe siècle, AVICENNE (Abu Ali ibn Sina980-1037) médecin arabophone de Bokhara, donne un exemple d'appareil distillatoire. L'alambic se répand en Europe par un chemin classqiue Byzance / Venise et aussi par les Syriens et les Perses arabophones et aussi les Coptes.
Cependant il faut attendre jusqu`à  Johan Rudolf GLAUBERT (1604-1670) pour trouver un autre perfectionnement sérieux, l'invention du serpcntin. 
 
Glauber. Utilisation du serpentin.

Jusque là il n'y avait pas de systeme de refroidissement, ce qui obligeait à une distillation à très petit feu est donc très lente.
Au 19° siècle, les procédés s'améliorent encore et se diversifient (distillation fractionnée, sous vide, etc.) puis deviennent industriels.

 

 

Ils quittent le domaine de l'artisanat... et du bricolage.
Voir des appareils de distillation

L'alcool

D'autres auteurs pensent que l'alcool était connu dès l'antiquité. C'est le cas de M. Berthelot, chimiste célèbre et à l'occasion historien :
"Les noms originaires sont importants à définir d'abord pour l'intelligence des textes. Or le nom même d'alcool, en tant que réservéaux produits de la distillation du vin, est moderne. Jusqu'à la fin du xvine siècle, ce mot, d'origine arabe, signifiait un principe quelconque, atténué par pulvérisation extrême ou par sublimation. Par exemple, il s'appliquait non seulement à notre alcool, mais aussi à la poudre de sulfure d'antimoine, employée pour noircir les cils, et à diverses autres substances.
Au xtnc siècle, nl même au xivc siècle, je n'ai trouvé aucun auteur qui appliquât le mot alcool au produit de la distillation du vin.
Le mot esprit-de-vin, ou esprit ardent, quoique plus ancien, n'était pas non plus connu au xtuc siècle; car on réservait à cette époque le nom esprit aux seuls agents volatils capables d'agir sur les métaux pour en modifier la couleur et les propriétés.
Quant à la dénomination eau-de-vie, ce mot était appliqué pendant les xmc et xtvc siècles à l'élixir de longue vie; et il a été énoncé par Arnaud de Villeneuve, pour la première fois, je crois, dans le but de désigner le produit do la distillation du vin; encore l'a-t-il employé, non comme nom spécifique, mais pour marquer l'assimilation qu'il faisait de ce produit avec le prétendu élixir do longue vie. 
En réalité, c'est sous la dénomination d'eau ardente c'est-à-dire inflammable, que notre alcool apparaît d'abord. Tâchons de préciser, d'après les auteurs anciens et ceux du moyen âge, l'origine même de la découverte de l'alcool.
Que le vin pût fournir quelque chose d'inflammable, c'est ce que les anciens en effet avaient déjà observé. On lit dans Aristote : «Le vin ordinaire possède une légère exhalaison; c'est pourquoi il émet une flamme. »
On lit de même dans Théophraste, le disciple immédiat d'Aristole « Le vin versé sur le feu, comme pour des libations, jette un éclat » c'est-à-dire produit uno flamme brillante. Pline renferme une phrase plus décisive encore; il nous apprend que le vin de Falerne  « est le seul vin qui puisse être allumé au contact d'une flamme». Ce qui arrive en effet pour certains vins très riches en alcool.
De même dans le Livre des feux de Marcus Gracus :
«L'eau ardente se prépare ainsi. Prenez du vin vieux et bon, de n'importe quelle couleur; distillez-le dans une cucurbite et un alambic, à jointures bien lutées, sur un feu doux. Le produit distillé s'appelle eau ardente. En voici la vertu et la propriété. Mouillez avec un chiffon de lin et allumez : il se produira une grande-flamme. Quand elle est éteinte, le chiffon demeure intact, tel qu'il était auparavant. Si vous trempez le doigt dans cette eau et si vous y mettez lo feu, il brûlera comme une chandelle, sans éprouver de lésion. Si vous trempez dans cette eau une chandelle allumée,elle ne s'éteindra pas. Notez que l'eau qui distille la première est surtout active et inflammable; la dernière, utile à la médecine."
Le premier auteur, connu nominativement, qui ait parlé de l'alcool est de date postérieure à la composition des écrits qui précèdent : c'est Arnaud de Villeneuve. On le donne d'ordinaire comme l'auteur de la découverte, prétention cpi'il n'a jamais élevée lui-même. II s'est borné à parler de l'alcool, comme d'une préparation connue de son temps et qui l'émerveillait au plus haut degré.
Il en exhalte les vertus : «Quelques-uns rappellent eau-de-vie. Certains modernes disent que c'est l'eau permanente, ou bien l'eau d'or, à cause du caractère sublime de sa préparation. Ses vertus sont bien connues ... Elle prolonge la vie et voilà pourquoi elle mérite d'être appelée eau-de-vie. On doit la conserver dans un vase d'or; tous les autres vases, ceux de verre exceptés, laissent suspecter une altération ... En raison de sa simplicité, elle reçoit toute impression de goût, d'odeur et autre propriété ... Quand on lui a communiqué les vertus du romarin et de la sauge, elle exerce une influence favorable sur les nerfs, etc. »

Citons de nouveau LENORMAND
"Les grandes vertues qu'ils attribuaient ã l'eau de vie, particulièrement à l'alcool le plus rectifié, qu'ils regardaient comme

le plus chargé de parties ignées, par les opérations qu'ils avaient employées, leur fit chercher une dénomination qui put donner une idée exacte de la supériorité de cette liqueur et des grandes qualités qu'ils croyaient lui reconnaître. Ils la placèrent donc dans la classe des éléments dont quatre leur étaient connus. Ils désignaient aussi les éléments sous le nom général d'essences comme pour faire entendre, par ce mot, que les quatre substances qu'ils trouvaient dans tous les corps de la nature étaient les 4 essences ou émanations de la Divinité, par lesquels elle aurait créé le monde et dont elle se servait pour le conserver. Ils appelèrent donc l'alcool le plus rectifié cinquième élément, quintam essentiam dont nous avons fait quintessence."
Mais les alchimistes croyaient bien avoir découvert non seulement un élément mais l'élément par excellence. voici ce qu'écrit BROUAULT :
"Mercure Trismigiste en parle, disant que la vigne des sages se tire en trois choix et que son vin se parfait ã la fin de trente. Les ISIAQUES, premiers auteurs de l'occulte philosophie, s'abstenaient de vin commun, à cause de sa ressemblance ã la liqueur chimique et CALASIRIS, chez HELIODORE boit de l'eau à la santé de THEAGENE, par respect et économie de religion qu'il rendait au vin, à cause qu'il était grand prêtre du Temple de Memphis, qui était dédié à la déesse ISIS ... RAMON LULLE, l'incomparable philosophe Hermétique, qui connaissait le vin le laisse en testament aux disciples de l'art, par l'entière description de tout 1'OEUVRE physique, décrivant les opérations dessus le vin commun. ISSAC HOLLANDOIS en son oeuvre végétal, fait de même et plusieurs autres ã son imitation décrivent tirer du vin ce précieux ESPRIT, dont ils se ser-
vent pour ranimer les végétaux, minéraux et animaux. Basile VALENTIN avait bien le SECRET quand il dit qu'un oyseau viste et méridional arrache le coeur d'un grand animal d'Orient. Et c'est cet oiseau ou cet esprit qui lave et nettoye le corps de toutes ses taches, qui est le moyen de rejoindre l'ãme et que les philosophes disent être "medium conjugendi tincturas" et qui donne tant de perfections à ce corps qu'il le rend capable de chasser toutes les imperfections de son genre et de guérir toutes les maladies des animaux, végétaux ou minéraux."
Les alchimistes sont si persuadés d'avoir fait une découverte stupéfiante, qu'ils pensent qu'elle annonce la fin du monde, comme le croit Raymond LULLE, alchimiste célèbre né en 1235 à Majorque, car dit-il, elle a été cachée aux Anciens parce que le genre humain était alors trop jeune et que c'est pour parvenir ã le renouveler qu'une découverte aussi précieuse était réservée.
Les auteurs prêtent donc à 1'alcool des vertues miraculeuses. C'est ainsi que Jean BROUAUT lui-même dit que la graine de persil, qui normalement lève en un mois, lève en quelques heures si elle est arrosée d'eau de vie "car l'eau de vie est l'humide radical des plantes, il est leur générale il est leur générale essence et de nature activée, car l'eau de vie est une huile plus proche de l'Aether que de l'Air donc proche du feu ..."
Dans le même ouvrage, un autre auteur, CHARTIER,écrit à sont tour : "A ce propos, je me souviens de la dispute de Ioatas contre Abimelech. Tous les bois (ce dit Ioatas) voulurent faire l'élection d'un Roy et parlèrent ã la vigne pour l'establir leur souverain : où, après lui avoir expliqué leur dessein, la supplièrent de les vouloir régir et comander : la vigne leur répondit, quoy, vous imaginez-vous que je veuille ou que je puisse laisser mon vin qui réjouit Dieu et les Hommes, pour me voir élever au-dessus de tous les autres ? Cette allusion nous donne ã connaître la noblesse de cette plante, non pas à raison dé la figure, n'y d'aucune politesse qu'elle aie ; mais à cause de la vertue de son suc qui réjouit Dieu et les hommes, pour cette excellente considération, elle est à préférer aux couronnes de la Terre : Vigne qui signifie la maison d'Israë1 et le peu- ple de Jésus Christ, lequel est le principal et le plus délicieux germe de cette souche, qui a répandu un suc merveilleux par les playes de son corps tout Divin : sang admirable et miraculeux de ce raisin ! Eau de vie pour nostre salut I Qui publie tous les jours sur notre autel nostre rachat, notre liberté et nostre vie, par l'Arrest qui fut pronnoncê en la Genèse. Lavabit in vino stolam sua et in sanguine uvae pallium suum. C'est la divine essence ou la véritable eau de vie qui est le dissolvant des ames et des corps ; elle purifie tout ce qui est d'impur ; change et transmue l'impuis- sant en état de pouvoir, de perfection et de gloire." Il y a donc une espèce d'assimilation entre le vin et la quintessence et le Christ et son sang rêdempteur, come l'exprime le symbole suivant extrait du De Subtilate de CARDAN (1557), qui dit le tenir de RHADAMES, alchimiste mythique :
 
Nous ne risquons pas de traduction !
Curieusement ce même Cardan est aussi l'inventeur du cardan que connaisse tous les automobilistes. c'est donc pour une part un vrai scientifique, mais tributaire de son époque.
Cardan, Mécanisme désormais appelé cardan.
Ce cardan apportera un progrès décisif aux machines de l'époque
 
Agricola. De re metallica.Gravure.
 
 
 Mais de nos jours, l'alcool ne fait plus rêver. Il est d'ailleurs de synthèse, a donc perdu tout contact avec la nature et n'est plus q'un solvant parmi des milliers d'autres.
 



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