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Rare
et curieux discours
de la Plante appelée Mandra-
gore, des ses espèces, vertus et
usage. Et particulièrement de
celle qui produit une racine,
représentant de figure, le corps
d'un homme; qu'aucuns croient
celle que Josèphe appelle BAA-
RAS; et d'autres, les Téra-
phins de Laban, en l'E-
criture Sainte.
Fait et récité publiquement Par Lau-
rens Catelan, Me Apothi-
caire à Montpellier, dans l'Audi-
toire du collège de médecine,
destiné à faire les démonstrations des
drogues aux Ecoliers, étudiants en
ladite Faculté de Médecine.
A paris
Aux dépens de l'Auteur
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H i s t o i r e,
vertus, propriétés, et
usage de la tant renommée Racine de Man_
dragore,portant la figure
d'un petit homme.
Il y a deux sortes de
plantes, qui portent le
nom et appellation de
Mandragore; l'une qui
est rare, et qui pro-
vient d'une production extraordi-
naire, naissant en lieux écartés de
la société humaine.
Et l'autre qui se trouve à la cam-
pagne, et qu'on cultive assez sou-
vent dans les jardins et parterres
et qui est produite par la voie de
semence en la même forme que
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De la Racine
les autres sortes de plantes.
Qui pour avoir quelque petit
rapport en la figure de leurs feuilles,
et racines entre elles, portent le nom
et l'appellation pareille. Car com-
me c'est l'ordinaire des herboristes
de ranger diverses plantes sous une
espèce particulière, pour peu de
convenance qui se rencontre en la
figure de quelqu'une de leurs par-
ties ; ainsi en est-il de ces deux plan-
tes qui s'appellent Mandragore.
Pour l'intelligence desquelles, et
premièrement de celle qui est ex-
traordinaire, et extravagante, je
trouve qu'il s'en rencontre en la
haute Hongrie, proche des Cara-
mantes, tirant vers Canize, d'où on
les transporte par le monde: qui a
la racine si proprement façonnée,
se rapportant à la figure humaine,
et plutôt à celle d'un homme que
celle d'une femme, parce qu'outre
toutes les parties du corps qui sont
communes à l'un et à l'autre sexe,
on y remarque cette circonstance
particulière, à savoir qu'à l'endroit
du menton, et du bas du nez,
contre les narines, il s'y trouve de
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de Mandragore
fort petits filaments qui se rappor-
tent aux poils de la barbe, et des
moustaches , Mandragora radicem
habet, quae tenet similitudinem forme
hominis, ce qui a meu Columelle
après Pitagoras, d'appeler cette
plante Anthropomorphos, c'est à dire
hominis imago, d'où les Allemans ont
pris sujet de dire que le nom de
Mandragore a été tiré de leur
langue, à savoir de Man, c'est à
dire homme et dragen, porter,
pour dire figuram hominis gerens, re-
présentant ou portant la figure d'un homme.
Laquelle plate ne provient pas,
au dire de quelques uns par la voie
de transplantation, ou de graine, de
même que les autres plantes,
mais d'une façon et origine toute
étrange et extraordinaire.
A savoir du sperme des hom-
mes pendus ès gibets, ou écrasés
sur les roues, comme Daleschamps
en son grand herbier, après Leninus
Lemnins, le rapportent, qui se liqué-
fiant et coulant avec la graisse, et
tombant goutte à goutte dans la
terre ( qui sans doute par la fré-
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De la Racine
quence des corps pendus, doit être
grasse et onctueuse, comme celle
d'un cimetière) produisant ainsi cette
plante de Mandragore, le sperme
d'un homme, faisant en cette rencon-
tre, pour produire cette plante, l'of-
fice et l'effet de graine : semen et
seminatum producit sibi simile; ce qui
ne pourrait pas advenir, comme je
croie, du corps d'une femme, quand
même elle aurait été attachée,
ou écrasée, parce que le sperme fé-
minin, ne peut pas être seul pro-
lifique comme celui de mâle, voi-
là pourquoi Paracelse se vantait
en son livre de Natura humana,
d'avoir fait naître du seul sper-
me viril, mis dans une fiole et
enfermé quelques mois, après l'a-
voir arrosé durant neuf mois par
un Canal, d'un aliment à ce pro-
pre, une petite créature vivante,
portant la figure virile, qui néan-
moins par opinion des plus sages,
a été jugé une effet magique si la
production a été comme il le réci-
te, dans laquelle le diable coopéra,
sans doute, pour une illusion lui
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de Mandragore
compliare, afin de le faire damner
et perdre.
Je sais bine que plusieurs, et la
plupart de ceux qui ont écrit
des plantes, ont dénié purement et
simplement cette origine et cette fi-
gure de la racine de Mandragore,
attribuant ce récit aux Charlatans,
qui pour attraper de l'argent pipent
par des racines contrefaites, les
plus crédules; mais au contraire,
les doctes qui soutiennent cette
production et origine disent
qu'il ne faut pas trouver cette pro-
duction entièrement difficile, et
impossible, puisque d'autres plan-
tes se trouvent être produites
par presque semblables moyens,
instruments et matières, dont plu-
sieurs portent sur quelques unes de
leurs parties, des caractères et si-
gnatures représentant les sujets des-
quelles elles ont été produites et
engendrées.
Ne croit-on pas que des corps
morts il en naît souvent des ....,
d'où les Pythagoriciens ont eu
opinion que les âmes des Morts
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De la Racine
résidaient en elles, et les Flaman-
diels Anciens Prêtres de Jupiter.
En Italie, les plus superstitieux hom-
mes de leur Siècle eussent mieux ai-
mé mourir de faim que de toucher
aux febues, ayant remarqué qu'en
leurs fleurs, et à l'un des bouts
d'icelles, appelé Hylum, il y avait
une marque ou Charactère repré-
sentant la tête d'une personne
morte, et de couleur noire, déno-
tant deuil et tristesse.
Ce que Pythagoras voulait dire,
lors qu'il fut massacré dans un
champ semé plein de febues, là où
il aima mieux mourir que de s'en-
fuir, comme il le pouvait faire, de
peur de gâter les febues, tant était
grande la révérence qu'il portait
aux morts et par conséquent aux
febues.
Secundo,, n'est-il pas vrai que du
sang humain se peut produire la
plante Apicum, d'où les Anciens
prirent occasion d'en défendre l'u-
sage parmi les vaindes, propterea
credit Arnebius prohibitum mensis,
pour ne pas se mettre en hasard de
manger du sang des personnes.
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de Mandragore
De l'urine d'un chien s'engen-
dre la plante dite Atriplex canina,
ou autrement à cause de la puan-
teur de ses feuilles, Vulnaria, qui se
rapporte à l'odeur de la dite urine.
Des cornes de bélier se produisent
des asperges.
Du sang que le dragon a sucé
des veines de l'éléphant, pour
éteindre par sa froideur, l'ardeur
qui le brûle dans ses entrailles et
lequel sang il revomit, lorsque l'E-
léphant tombe sur lui et qu'il l'é-
crase comme le récite Pline; naît
et se produit aux Iles Canaries, dites
Forunées, selon Theuet, et le mé-
decin Monardes, l'arbre qui porte
la gomme, appelée sanguis draco-
nis ; en témoignage de quoi, le
fruit porte la figure d'une dragon si
expressément empreinte, qu'on di-
rait y avoir été apposée par un pein-
tre.
Et autem hic ...
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De la Racine
Du cadavre des couleuvres ou
des serpents, suivant l'opinion com-
mune, provient la plante colubrina
ou serpentaria. Du sperme des
cerfs proviennent les champignons
que Crollius et Quercetanus ap-
pellent Boletti Cervini.
D'où les poëtes ont pris occasion
de dire, que du sang d'Ajax une for-
me de jacinthe en était produite,
portant deux caractères, qui repré-
sentaient deux lettres, A, Y, sur l'une
de ses feuilles, en témoignage de
la douleur qu'il ressentait en se
tuant soi-même; et de plus, parce que
les fleurs sont de couleur sang,
c'est à dire, purpurines; ce qu'ils
n'eussent jamais allégué s'ils eus-
sent cru être tout à fait contre na-
ture que de tels principes quel-
ques plantes eussent pu être pro-
duites, parce que sous les fables ils
ont entendu rapporter des produ-
ctions aucunement vraisembla-
bles; d'où je conclus que la produc-
tion, origine et figure de cette es-
pèce de Mandragore, ne doit pas
être légèrement rejetée, comme
production totalement impossible.
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D'autres ont empoyé les Man-
dragores, pour avoir et acqué-
rir la valeur et prudence de vain-
cre les ennemis en guerre: et de
fait, la Pucelle d'Orléans fut accu-
sée d'avoir si longuement tourmen-
té les Anglais par la force et vertu
Magique d'une Mandragore.
D'autres se sont servis de cette ra-
cine pour abrutir les sens des per-
sonnes, de même que les femmes
indiennes qui pour librement faire
l'amour en la présence de leur ma-
ris, leur font avaler de Datura, Arera
et semblables drogues pour éviter,
en leur faisant perdre le jugement
pour quelques heures, qu'elles ne
soient châtiées ni reprises.
Ainsi par le moyen de la Mandra-
gore ceux-ci dérobent les meubles
des maisons, voire ravissent des en-
fants, suçant le lait de la mamel-
le d'entre les bras de leurs mères, ou
nourrices, sans que ceux ou celles
qui les voient, et entendent, aient
la faculté de s'en défendre, étant ce
une commune pratique des sorcières,
d'être avides de la chair des petits
enfants, d'où elles sont appelées
Lamies, du nom d'un monstre ma-
rin, qui pour avoir le gosier extra-
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De la Racine
ordinairement long et large, appelé
en grec lamoV, est appelé Lamie, qui
persécute les Navigateurs pour les
faire perdre, afin de manger la chair
humaine, de laquelle il est goulu et
friand 'une furie épouvantable; d'où
s'ensuit que lesdits monstres marins,
appelés Lamies, engendrent quel-
quefois des Monstres qui portent
du nombril d'en bas, la figure d'un pois-
son, et du nombril d'en haut la figu-
re d'un homme, comme Rondelet
le rapporte, et tels qu'il en a été
pêché dans la mer de Norvège,
car du sperme , qui se peut ren-
contrer dans les corps des hom-
mes noyés en mer et dévorés par
les lamies, pourvu qu'elles soient
femelles, à raison de la matrice qui
ne se rencontre pas aux mâles, sans
doute tels monstres, demi-pois-
sons et demi-hommes, peuvent
naître.
Finalement, d'autres se sont
servis de la mandragore pour forcer
des personnes à des amours illicites,
comme ceux qui composent les
filtres de cette petite loupe qui
apparaît au front des poulains lors
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de Mandragore
qu'ils naissent, appelée Hypoma-
nes, ou avec de la calamite blan-
che, dite en cette considération
Aphrodisaire ou avec de Asebino-
menon du Médecin Acosta, et de
plusieurs autres vilenies, qu'il est
plus séant de supprimer que d'en
publier l'usage.
Voilà pourquoi la sorcière Circé
eut la réputation d'en avoir em-
ployé envers une jeune fille appe-
lée Sylla, de laquelle elle était fu-
rieusement jalouse, car dès que la
sorcière lui eut donné et fait sub-
tilement avaler ce philtre qu'elle
avait mixtionné avec du suc de
Mandragore, la pauvre Sylla fut si
ardemment éprise d'une rage et
fureur amoureuse du prince Glau-
cus, que de furie elle s'alla préci-
piter dans le détroit de Messine, qui
est à présent un écueil, comme ce-
lui de Charybde, en considération
duquel philtre ladite Mandrago-
re fut dite du nom de la sorciè-
re, Circea.
....
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